POURQUOI LE JEU SYMBOLIQUE TEND A DISPARAITRE DANS LES ETAPES DU JEU DES ENFANTS ?

 

 

Tout d’abord un petit rappel.

« Jean Piaget (1896-1980), épistémologue et psychologue suisse, se penche sur le jeu enfantin et livre de nombreuses observations et une classification. Il place le jeu au centre du développement cognitif de l’enfant. Il voit l’enfant comme source de compréhension du développement de la pensée. L’enfant est perçu comme un petit scientifique qui, à travers ses jeux, expérimente le monde et construit ainsi son intelligence. Les travaux de Jean Piaget influenceront fortement la pédagogie des écoles maternelles et primaires.

Il décrit 3 périodes essentielles du développement du jeu :

Jeux d’exercices : période sensori-motrice (18 premiers mois) : l’enfant ne joue qu’en présence de l’objet.

 ¨ Jeux symboliques : période représentative : (à partir de 2 ans) faire semblant, accès au symbolisme. Là, l’enfant peut se détacher du réel, des objets qui sont devant lui et se représenter d’autres objets absents. Le bâton devient tour à tour fusée, baguette magique, frite….

 ¨ Jeux à règles : période sociale : le jeu permet à l’enfant d’assimiler la réalité (4 – 11 ans). » ( cf JEUDEVI)

Nous allons nous intéresser ci-après au jeu symbolique, à son importance, mais aussi à la question de son essoufflement depuis quelque temps.

En prenant au hasard la description du jeu symbolique je trouve ceci :

Le jeu des premières années – 2 à 6 ans :

 Le jeu symbolique : Le développement de l’imagination ; l’enfant commence à se situer comme un individu parmi d’autres. Il s’assimile, par son jeu, aux personnes, aux métiers, aux situations : il imite, mais cette imitation sous-tend toujours un rôle qu’il vit intensément. Il s’approprie tous les jouets reproduisant l’environnement : voitures, sujets miniatures, appareils ménagers, téléphones, les outils et les panoplies, tout ce qui représente l’activité de l’adulte. Il vit aussi dans un monde fictif où le merveilleux joue un rôle important : personnages imaginaires, fantastiques, petits univers. Apparition du langage comme moyen d’expression propre.

Le jeu symbolique est  souvent assimilé au jeu d’imitation et c’est pourquoi les jouets vendus sont des jeux d’imitation appelés assez souvent « jeux symboliques ». Oui l’enfant va d’abord imiter tout ce qu’il voit dans son quotidien, il va imiter fidèlement, avec des objets qui sont des miniatures des objets utilisés par les adultes autour de lui, il va rejouer toutes ces situations vécues avec son entourage. D’ailleurs, si l’objet ne ressemble pas à ce à quoi il pense (téléphone pour téléphoner) il ne pourra pas jouer avec l’objet qui ne ressemble pas, l’enfant ne se détache pas encore du réel, les objets doivent être devant lui pour y penser. Puis son « imagination » va lui permettre d’inventer de plus en plus d’histoires, riches et variées, pour lesquelles s’il ne détient pas tous les objets requis, là il commencera à se saisir de n’importe quel objet qui fera fonction de… qui « représentera » l’objet absent (un bâton pour une baguette magique, une boîte pour une voiture..). En revanche, si tous ses jouets, ses objets, ressemblent à toutes les situations qu’il veut rejouer, il ne lui sera que peu nécessaire de développer son jeu symbolique. Par exemple, si un enfant fait évoluer son jeu de dînette, et qu’il fait intervenir le docteur, il va avoir besoin peut-être d’une seringue pour faire les piqûres ! Là, s’il ne possède pas la mallette complète du docteur, il ira chercher quelque chose qui d’abord ressemble un peu, puis au fil du temps il pourra se détacher de l’objet en lui-même et attraper n’importe quel objet qui lui tombera sous la main, et qui pour l’enfant « représentera  la piqûre ».

Free picture (Homemade toy made of shells) from https://torange.biz/homemade-toy-made-shells-17329

Les jouets commercialisés, aujourd’hui, permettent de moins en moins d’accéder à ce degré de jeu symbolique. Tout l’univers des adultes est reproduit fidèlement, beaucoup de jeux demandent de recopier aussi un modèle. Les légos, vendus en baril contenant des centaines de briques, permettaient d’inventer tout et n’importe quoi, sauf que de nos jours les boîtes de légos que l’on trouve, proposent des modèles, voire un seul modèle à construire. Combien d’enfants ai-je pu entendre qui ne savaient plus quoi faire avec leurs légos une fois le modèle construit. Tous les jouets vendus sont paramétrés, prévus, dans les moindres détails, tout ressemble à la réalité. Si l’on veut qu’un jour, l’enfant imagine « dans sa tête » une fée, ou un château, il faudra que les jouets, les objets qui l’entourent ne soient pas qu’une réplique fidèle de la réalité, sinon il ne pourra pas facilement se détacher de ce qui est devant lui pour réfléchir « à propos » de ce qui est absent. Le jeu libre permettra aussi à l’enfant de transformer les objets devant lui, d’en faire autre chose, ce qui l’amènera à transformer dans sa tête, de le voir autrement, de se l’approprier de telle sorte qu’il puisse un jour réutiliser cela dans une autre situation. Le château qui devient une fusée, en jouant est le « nom commun » qui peut être une fois « sujet » dans une phrase ou « complément d’objet » dans une autre. Grâce au jeu symbolique, l’enfant accède non seulement aux symboles, donc aux codes arbitraires tels que les lettres et les chiffres, mais aussi à la capacité de tout transformer dans sa pensée, et de transférer mentalement.

 Si cela est si important, c’est qu’il y a un risque que les enfants d’aujourd’hui puissent éprouver de plus en plus de difficultés à penser en dehors de la situation réelle, présente devant leurs yeux. Que plus tard, ils aient également de grandes difficultés à généraliser leurs connaissances et à les transférer d’un domaine à l’autre. Certains pourront par exemple, apprendre une leçon, et réussir les exercices d’application stricte, mais ne sauront pas utiliser cette règle dans un autre contexte.

Si je vous ai proposé de parler de ce sujet aujourd’hui, c’est que j’ai réalisé après un an dans un nouveau quartier avec une nouvelle patientèle très différente de la précédente, que quelque soit le milieu socio-éducatif, les enfants, aujourd’hui, mobilisent de moins en moins la pensée symbolique qui se construit très jeune, notamment  grâce à ia richesse du jeu symbolique. Aussi, nous recevons des enfants, des pré-adolescents, des adolescents, qui n’investissent pas pour eux-mêmes ce qu’ils apprennent, qui ont des difficultés à penser «à propos » de ce qu’il font, qui ne savent pas pourquoi ils travaillent, qui n’accèdent pas aisément à une pensée symbolique, abstraite.

Selon moi, de plus en plus de jouets vendus et proposés à nos enfants appellent soit l’imitation servile, soit la répétition en boucle d’ « actions-réactions ». On peut dès lors s’interroger sur leur part de responsabilité quand le développement typique du jeu symbolique semble perturbé. Après tout, si l’on y réfléchit bien : pourquoi de plus en plus de fabricants de jouets se limitent-ils à proposer des panoplies complètes, ou des répliques exactes de la vie réelle ? Je l’ignore, mais en tout cas, pour pallier cela, laissons les enfants jouer librement et ne leur donnons pas que des jeux « pré-pensés » par les adultes. Laissons-les aussi découvrir le monde, leur environnement, à leur façon. Laissons-les détourner les objets, pour que la boîte d’allumettes devienne une voiture ou un biscuit pour la poupée. C’est important que cela se produise si l’on veut que les enfants aient besoin du langage pour raconter ce qui n’est pas devant eux, et que le langage soit le support de leur imagination.

Florence Lerouge

16 réactions sur “ POURQUOI LE JEU SYMBOLIQUE TEND A DISPARAITRE DANS LES ETAPES DU JEU DES ENFANTS ? ”

      • Mathieu Réponse

        Le phénomène n’est pas nouveau pour les jouets (nos parents jouaient déjà avec des poupées, des dînettes, des soldats ou des petites autos), mais il est accentué maintenant. Et il se cumule avec d’autres transitions, notamment le fait que l’enfant entend moins de contes, comptines, histoires… Ou le manque de tolérance face à l’ennui (on a peur que l’enfant s’ennuie, donc on lui donne de quoi s’occuper). Et bien sûr l’exposition aux écrans qui annihile encore une bonne partie de l’imagination.

    • Véronique Bonnaudet Réponse

      Bonjour,
      Pour aller plus loin, comment aider un jeune ado à développer son imaginaire s’il n’a pas profité de cette phase dès son plus jeune âge ?

  1. Nicolas G. Réponse

    Il est bien de signaler, comme vous l’avez fait, qu’au départ l’enfant a besoin d’abord d’imiter, et donc que le jouet doit ressembler à l’objet réel. C’est petit à petit que l’enfant va pouvoir entrer dans une représentation symbolique avec des objets de moins en moins ressemblants. D’ailleurs plus l’enfant développe une maturité dans son jeu symbolique, plus il va pouvoir aussi se passer des objets, et pourra simplement imaginer cet objet qui « représentera la piqûre » ou autre, sans matériel. Je souligne cela afin qu’on ne brûle pas les étapes par crainte que l’enfant ne développe (ou peu) ses capacités d’imagination, de créativité, d’action en pensée, etc.

    • Grégory BYNEN-JOURNO Auteur ArticleRéponse

      Merci, Nicolas, d’insister sur ce point!Tout à fait d’accord avec vous.

  2. anne Réponse

    wow c’es très intéressant. Je déplore la consommation à outrance, pour la pollution notamment, mais je n’avais pas pensé à cet aspect là. Pas étonnant que les enfants qui croulent sous les cadeaux s’ennuient toujours.

  3. Jasmine Réponse

    Bonjour! J’aimerais connaître les sources et références que vous avez utilisé pour ce texte!! Merci!!
    Jasmine

  4. Nathalie Leclerc Réponse

    Est-ce permis de partager avec les parents du CPE ou je travaille?

    • Grégory BYNEN-JOURNO Auteur ArticleRéponse

      Bonjour, Nathalie.
      Oui, c’est tout à fait possible, cet article étant en libre accès. Merci beaucoup pour votre intérêt !

  5. Claire Cournoyer Réponse

    Bonjour, je travaille avec des enfants dysfonctionnels et en lisant votre article, j’ai pensé à un petit garçon en particulier qui ramasse une branche d’arbre par terre et qui en l’espace d’une minute peut la transformer en canne, en fusil et si je désapprouve… en canne à pêche et j’en passe… Cet enfant qui dans le système scolaire est identifié en difficulté serait-il plus créatif que la norme (la subjectivité dominante)? Peut-être incapable de s’adapter à un monde inadapté??? Intéressant votre article! Merci!

  6. Manon Réponse

    Je suis très heureuse de lire un texte qui décrit exactement ce que j’essayais de partager à mes collègues enseignants du préscolaire. Proposer des situations, des environnements et laisser aller. Je me questionne toujours comment aller chercher les enfants qui n’aiment pas les jeux de rôles… Mon fils, par exemple, n’a jamais inventé de scénario de jeu de rôle… Je me suis dit simplement que c’était lié à sa dysphasie… Est-ce qu’il y a d’autres explications possibles ? (Pour les enfants en général)

  7. Guylaine Lavoie Réponse

    Chez moi , ont étaient 12 , je suis la dernière, mes plus beaux souvenirs sont avec les jeux ou je pouvais travailler mon imagination. Découper un catalogue et en faire des poupées en papiers, les boutons de toutes les formes et couleurs que ma mère avait dans un grand pot. Aujourd’hui , je permet à ma petite fille de 3 ans , de développer son imagination. J’ai trouvé dans une vente de garage, de veilles marionnettes avec qui les histoires prennent formes et développe ses capacités de visualisés et de créer un univers bien à elle .

    Merci pour cet article fort intéressant et qui doit être lu par tous, je vais le partager avec joie.

    • Grégory BYNEN-JOURNO Auteur ArticleRéponse

      Merci beaucoup pour ce commentaire, Guylaine. En effet, on fait sans doute plus travailler l’imagination avec trois fois rien ! Bons moments de jeu partagé avec votre petite fille !

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